Istres les doigts verts

On se retrouve dimanche matin vers 9h45 à l’Office du tourisme de Istres. Nicolas Memain attend, cache sa veste de cantonnier dans un café avec les habitués et sort à l’heure précise.

La marche violette contre les féminicides marque une journée où les piéton.ne.s sont autorisé.e.s à ralentir les voitures, à la main des fleurs blanches offertes par les fleuristes de Istres. Ici la nature par les fleurs représente des vies de femmes arrachées par le sexisme.

Nicolas Memain prévient : nous serons attentif.ve.s dans cette marche à la référence. Subtiles ou grossières, inavouées ou extravagantes, les références façonnent l’urbanisme et l’architecture. « C’est tout ce qu’il nous reste, postmodernes que nous sommes ». Entre évocation ou invocation, savoir-faire qui laisse place à l’existant, ou symbolisme demandant à la ville de prendre la forme de ce qu’on imagine d’elle, une fiction californienne adolescente des années 90.

Istres, dans son nom même est une de ces références aux non-humains qui composent la ville et que l’on oublie trop souvent. Istres, première fois nommée dans une charte de Conrad le Pacifique, viendrait de la même racine qui a donné « huîtres ». La ville fait référence aux producteurs de calcaire qui en compose son sol. Illustration : le calcaire dans lequel est faite la porte d’Arles, l’arc de triomphe au coin de l’allée Jean Jaurès, juste à côté de l’office du tourisme, laisse affleurer quelques coquillages nous rappelant que le minéral lui-même ne serait sans l’organique, la pierre est faite de milliards et milliards de coquillages et autres organismes marins concassés, dont les huîtres, qui apparaissent de ci de là sur les parois rocheuses.

L’arc de triomphe se situe à l’entrée du vieil Istres à la forme d’une olivette.

La ville, nous explique-t-on, est fait de nombreuses collines et de fond de vallées. La tache urbaine est carrée, coincée entre l’étang et la base aérienne 125.

La Zone Industriao-Portuaire de Fos est décidée en 1964. en 68 il est décidé de ne pas faire une grosse ville nouvelle, mais d’étendre les villages existants de Istres et Fos. En 1972 est crée l’EPAREB qui pilotera au nom de l’Etat cette croissance. Dès le début, une pensée écologique de prévention des risques et de respect de l’existant sera intégrée aux projets de ZACS.

C’est donc une ville nouvelle que nous allons traverser. Beaucoup des intelligences de la nature en ville que nous remarquerons sera l’héritage du travail du paysagiste de l’EPAREB[1] : Georges Demouchy. il s’agissait déjà pour EPAREB d’accompagner, plutôt que de remodeler, un terrain d’expérimentation qu’il est bon de fréquenter pour penser nos aménagements d’aujourd’hui.

Mais avant d’y aller, un petit tour par la ville ancienne s’impose, car les savoir-faires avec la nature ne date pas d’hier. L’allée Jean Jaurès est un Cours, forme urbaine typique en Provence, référence au Corso italien, une mode qui arrive au 17e siècle. Deux allées de platanes à feuilles caduques : ombrages en été, ouverture sur le soleil en hiver. Expression de l’intelligence des feuilles de ces arbres qui mériteraient certainement mieux que les pas d’arbres qui leurs sont aujourd’hui imposés. Le Cours est tordu : marque de l’ancienne enceinte de la vieille ville.

Piétonnisée, des parcelles démolies accueillent quelques arbres formant placette, dont des melia beaux toutes les saisons et des micocouliers résistant aux maladies. On arrive ensuite à la fontaine moussue, ou rocaille moussue au fond du boulevard Paul Painlevé, qui imite la formation naturelle de végétation dans les grottes. Cette drôle de protubérance moussue qui ruisselle de manière discontinue a une fonction rafraichissante, douce humidité pour les canicules, dont le bruit des gouttes d’eau trompe notre cerveau et lui donne des impressions de fraicheurs de fond de vallée. Certain.e.s recherche que Nicolas l’ont conduit a soupçonné que le centre de bourse de Marseille avait été pendant un moment pensé comme une rocaille moussue, donnant une toute autre image de ce que Belsunce aurait pu être. Le réseau d’arrosage serait, dit Nicolas, tombé en panne.

Passant devant des cyprès florentins et des oliviers en pots, l’occasion se présente de discuter de la différence entre deux types de plantes, qui catégorisées par la façon dont on les utilise dans nos histoires humaines de paysagisme : les plantes culturelles et les plantes écologiques. Certaines plantes sont utilisées pour des raisons plus « écologiques », elles sont soit déjà présentes, et on fait avec, soit sont introduites pour des fonctions de climatisation, de maintien du sol, comme habitat ou autre, de manière à s’accorder au mieux à l’écologie d’un lieu. D’autres sont convoquée pour une cohabitation qui n’a de raisons que culturelles.

Par exemple, les cyprès florentins, les lauriers roses et les oliviers se retrouvent souvent affublés d’une mission de représentation de l’identité provençale, qu’il faille pour ce faire le mettre en pot pour que cela soit viable ne pourra pas les détourner de leur fonction : nous nous dirons face à ces plantes qu’ici nous sommes bien en Provence.

Nous quittons le centre ville passant, direction la Romaniquette, en passant par dessus une branche du système Crappone. Le système Crappone est un système d’irrigation qui s’étend de Salon-en-Provence, Lamanon, jusqu’à Arles et irrigue toute la plaine de la Crau, qui demande un grand apport en eau pour la production du celèbre foin de la Crau, unique denrée non-alimentaire protégée par une appellation d’origine controlée, la culture de foin se fait en champs inondés. Certain.e.s se mettent à rêver du reflet du ciel dans l’eau. L’eau fait elle aussi des références au ciel ?

Une deuxième branche de canal, cette fois-ci abandonnée nous raconte une autre histoire : celle de la déprise agricole, ce canal en effet est plus en hauteur, et les hauteurs, zones les moins fertiles, sont les premières zones délaissées quand les activités agricoles diminuent. Ici le rapport de référence s’inverse : c’est la spécificité des vivants qui repeuplent une branche de canal abandonné qui racontent l’histoire des mutations sociétales humaines.

Deux essences d’arbres attirent notre attention : ils rejouent une nouvelle fois la question de la référence, sur un mode encore nouveau. Il s’agit du Catalpa et du Melia Azedarach, il s’agit de deux arbres installés ici dans ce quartier récent qu’est la Romaniquette, ce sont deux arbres très graphiques, que les paysagistes et architectes doivent souvent dessinés dans leurs études. Il paraîtrait même que le catalpa de la cour des Beaux-Art de Paris aurait rendu tous les étudiants passant par là sensibles à ses formes : on plante ce qu’on connaît. Que l’histoire soit vraie, peu importe. Ces deux arbres sont arrivés ici pour des qualités ni écologiques ni culturelles, mais plutôt pour leur qualité graphique et pédagogique, qui leur a valu d’être dans les esprits des aménageurs. Les manières dont les non-humains font intrusion dans les histoires humaines se multiplient au fil de la balade.

La réalité tremble et Nicolas nous fait perdre nos repères urbanisés, empruntant presqu’exclusivement des chemins d’écoliers, ces chemins qui passent à l’arrière des maisons, dans des interstices aménagés pour que les enfants puissent aller à l’école à pied en toute sécurité. Par ces sentes vertes internes, qui sont soit des passages au dessus d’anciens canaux, ou de canaux toujours en activité, voir même des espaces entre les maisons et d’anciens fronts de tailles de carrière, la part faite à la nature est belle : les enfants, mais aussi les insectes, les plantes, de petits animaux, et des imaginaires loin du tout-au-béton et du tout à la voiture peuvent toujours se frayer un chemin. On voit très peu le goudron et les voitures, la ville nous offre un tapis paradis.

On arrive au Parc de la Conque. Nous entrons depuis une sente pédestre du côté du chemin du cros de la carrière. C’est un petit parc qui représente bien la façon de penser de Demouchy, sa manière de se jouer des références à l’histoire du paysagisme et de laisser l’existant nous offrir des manières de réinventer cet héritage. .Il reprend des lignes de forces qui existent déjà dans le paysages : un front de taille, un bout d’aqueduc, il les intègre pour dessiner un petit jardinet de cloître rêvé , tradition paysagiste et lignes de forces préexistantes : les grandes références se mêlent au quotidien. Une petite gloriette en béton et en inox fait elle aussi référence à d’autres jardins, les grands jardins aristocratiques, mais ses matériaux se font beaucoup plus discret pour raconter cette grande histoire.

Les références s’enchevêtrent : la plupart des maisons qui nous entourent sont des maisons en bois, recouvertes d’un enduit imitation pierre, les tuiles sont en ciment, mais imitent l’argile.

Le paysage devient une fiction, mais une fiction subtile par laquelle on se laisse prendre.

On se rapproche du front de taille qui constitue l’une des bordures du parc : elle nous rappelle ce qui constitue Istres, les coquilles d’huîtres en quantité se laissent voir dans les calcaires : de la nature ou du paysagiste, on ne sait plus qui invente les plus improbables fictions…

Nous remontons vers le parc de la Romaniquette en empruntant d’autres sentiers pédestres, en y croisant quelques atriplex, ou pourpiers de mer. Ces plantes sont les stars du réchauffement climatique. Peu demandeuses, elles poussent sur des sols très pauvres et contribueraient à reconstituer les sols tout en offrant de l’ombrage et de la protection contre le vent à d’autres essences, habitats pour d’autres règnes.

Ces plantes sont comestibles, légèrement salées, ce goût dit à nos papille la présence non lointaine du sel.

Et c’est bien là que pour la première fois du chemin notre vue s’ouvre sur l’étang de Berre, juste après avoir croisé les traces rouges et jaunes du GR2013. C’est une autre petite gloriette qui nous attire et nous surprend avec sa vue sur l’étang de Berre, nous permettant de comprendre le rapport particulier que la ville entretien avec l’étang : on ne le voit presque pas : Istres est sur un plateau qui commence en falaise au bord de l’étang avec une douce pente jusqu’à la plaine de la Crau.

Nous arrivons près de l’école primaire Jacqueline Auriol, par d’autres sentiers pédestres, le chemin du bois joli, pour constater d’autres pratiques du paysagisme, confrontés à un micro paysage plus récent, assez typique de ce que l’on pourrait qualifier de paysagisme comptable : devant l’école, pour protéger les enfants des voitures est installé un par-terre, une plate-bande sur un sol stérile et blanc (ici des coquillages, mais qui sont là comme référence au vide), avec des points « devis », probablement dessiné à l’ordinateur avec sur le plan, des points qui réfèrent directement au devis de la plante à installer.

Plutôt que d’intégrer des lignes de force et de laisser la place au vivant, le paysagisme pense par une fonction préalablement décidée : il faut que les enfants restent éloignés de la route, déviation artificielle des enfants, plutôt que ralentissement des véhicules motorisés.

C’est un décor de centre de rond point hors du centre du rond point.

Nous nous échappons par le chemin de la Tortosa, qui nous fait longer une nouvelle fois l’étang de Berre, sous les structures, le calcaire tendre est soufflé par le vent, ne reste que le calcaire plus compact qui forme ces étonnantes architectures minérales. Une souche de bois mort montre un autre changement de mentalité dans la gestion des parcs : laisser le bois mort permet une meilleure régénérescence des sols. Là où nous avions tendance à tout « nettoyer », nous apprenons aujourd’hui à accompagner la façon dont la nature se recycle elle-même : les champignons pyrophiles décomposent le bois brulé, et en fait de la matière organique pour nourrir l’écosystème.

La vue que nous avons sur l’étang de Berre nous offre une occasion de penser à lui et d’échanger ce que nous en savons, la vue sur la centrale hydro-électrique de Saint-Chamas, « embouchure artificielle de la Durance », nous invite à raconter la pollution à l’eau douce et les problèmes d’anoxies de l’étang : par grande chaleur l’eau tend à manquer d’oxygène, l’eau douce, turbinnée en quantité immense, se mettant en surface et ne se mélangeant que lentement avec l’eau saumâtre, accentue grandement les phénomènes d’anoxie en plus de perturber le fonctionnement de l’écosystème. Saint-Chamas étant un point d’appoint électrique pour toute la côte d’Azur, tous les climatiseurs de la côte forment un deuxième pic de consommation électrique qui demandent aux centrales de turbiner d’autant plus au période de grosses chaleurs. La nécessité de repenser les climatisations naturelles en ville s’en fait d’autant plus sentir. Nous débouchons de ce petit sentier où l’on ne voyait plus Istres mais seulement l’étang, sur le plateau des Bolles. A nouveau c’est une zone de lotissements pensée par l’EPAREB [1] avec leur savoir-faires particuliers. Des changements de couleurs sur les briquettes du sol racontent beaucoup, invitent aux usages, laissent deviner une référence lointaine à une antiquité grecque. En s’enfonçant dans les lotissements, on observe une voie laissée derrière les maisons dessinées par le front de taille d’une ancienne carrière, ombragée et humides, on s’aventure entre les maisonnettes, qui s’organisent avec des petites placettes avec quelques arbres, ou de simples placettes triangulaires, aberrations économiques, mais tellement importantes en ce qu’elles ouvrent des espaces où l’on n’est pas trop vu, où l’on peut sortir d’un régime de performance et productivité. Ces endroits invitent à rêver à partir de rien.

La démonstration des aménagements nous invitent à penser du rien intelligent, en changeant les couleurs des briquettes au sol ce sont d’autres espaces qui s’ouvrent, sans trottoirs, on ne sait plus quels espaces sont destinés à la voiture et lesquels sont destinés au piéton.ne.s. Les rues ne sont pas droites, les espaces sont appelés à être des espaces qui se négocient, c’est-à-dire des espaces où l’on se rencontrent. La philosophie des aménageurs EPAREB se laisse deviner : comment faire mieux, avec moins.

Dans cette philosophie, trouver des manières justes d’intégrer l’existant à la planification, c’est-à-dire de mettre de reprendre l’existant et ses formes pour en hériter autrement, semble d’une importance capitale : une ancienne ferme traditionnelle a par exemple tellement été fondue dans le paysage des Bolles que personne ne la remarque.

Nous commençons à voir au loin, en contrebas, les Quatres Vents, autre quartier de ces années-là. ZAC, zone d’aménagement concerté, qui mettait déjà à l’époque le « participatif » comme valeur importante de la question de l’habitation. On s’attache d’autant plus à son territoire que l’on a son mot à dire sur son dessin… Le plan d’aménagement prend deux barres d’immeubles des années 50 comme ligne de force et se construit autour parsemé de bout de pinède qui précédait la ZAC : au lieu de faire de la ville et de rajouter de la nature après, ici, on laisse des trames de natures dans la façon de composer la ville.

Mais avant de se lancer plus en avant dans les quatre vents, nous passons par le parc des salles.

Somptueux parc, qui conserve comme axe de composition une ancienne départementale détournée, ici c’est de l’ancien « urbain » qui sert à organiser de la « nature ». C’est là qu’on s’arrête pour manger.

Pont du parc, Bernard Lassus, grille d’abeilles sculptées en fer forgé, inspiration des pratiques des papys dans le nord. Le pont est une fausse rocaille, inventée de toute pièce, dans lequel on aurait creusé le passage pour la route. Mais quand on tape sur la roche, c’est creux, c’est du polyester recouvert de ciment.

On passe sur la rocaille fictive comme si on ne quittait pas le parc. Sous le pont : on voit 4 voies, des immenses ronds points : Istres a été une ville test de la voirie, on y expérimente les rond-points,. on s’est rendus compte qu’ils étaient beaucoup trop grands. Quand Istres est devenue sous-préfecture de la métropole, on a eu de la spéculation immobilière qui attendait 200 000 habitants, or on est resté à 49 mille, les infrastructure sont immenses, la population y est fictive. C’est comme un rêve de ville faite de maisons individuelles avec garage pour un peuple manquant.

Ecole ouverte, la cours de récré est la pinède d’à côté. « La nature, c’est ici ! », nous crie un enfant au milieu d’un stade de foot à qui nous disions la chercher. On marche vite, sentiers pédestres, pédibus, arrière couloir sans véhicules : c’est important pour la façon dont c’est entretenu aussi. Pourtant, on n’y croise personne.

Fossé drainant. Piscines olympiques, plus qu’à Marseille. Paysages composite de la fin, des cinémas, une ancienne patinoire, des salles de spectacles, on entend chanter « joyeux anniversaire » par une fenêtre…

On est en retard on doit arriver pour 17h au centre ville de Istres. On perd un peu le fil… Une immense villa romaine en béton avec colonnades nous surprend sur la droite. La fiction semble prendre le dessus sur la réalité.

[1]Etablissement Public d’Aménagement des Rives de l’Etang de Berre

Voir articles de presse sur cette balade

Maritima et Marcelle

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« Istres, les doigts verts » par Nicolas Memain – Dimanche 10 novembre 2019

 

Istres est un vieux village et une ville nouvelle. Entre étang-s, collines et plaine de la Crau, les plans des ZACs des années 1970 et 1980 ont prévus parcs, espaces verts, mails piétons, chemins d’écoliers que nous arpenterons dans le calme, la volupté et la recherche de l’ombre. Une journée complète à explorer cette ville nouvelle, pour y apprendre ensemble comment la nature rend service à la vie urbaine, et comment elle nous aidera à nous adapter au changement climatique. L’action municipale, à travers les actions d’urbanisme passées et en cours et du rôle du service des Espaces Verts, y seront éloquentes et exemplaires.

 

Ce récit est tiré de promenades que s’inscrivent dans le programme de 5 ans du projet européen Nature 4 City Life (2017-2022) qui favorise une meilleure intégration de la nature dans le projet urbain dans un contexte de changement climatique.